Éthique Médicale
Dans le numéro de décembre 2004 de l’American Journal of Bioethics, Jonathan Moreno, professeur d’éthique biomédicale à l’Université de Virginie, attire l’attention sur les enjeux liés à l’éthique médicale et aux armes non létales. Il reprend des préoccupations déjà soulevées par Robin Coupland, du Comité international de la Croix-Rouge, sur l'implication des professionnels de la santé dans le développement de ces technologies.
Moreno recommande la mise en place d’une étude indépendante sur ces nouveaux défis éthiques, notamment dans le contexte de la lutte contre le terrorisme et de la sécurité nationale :
Des armes non létales au traitement des terroristes, il est temps qu’une entité respectée et indépendante, telle que l’Institute of Medicine (IOM), commande une étude sur ces défis émergents en matière d’éthique médicale.
En mars 2005, le New Scientist a publié un éditorial concernant les recherches menées aux États-Unis sur le développement d’une arme à énergie dirigée Pulsed Energy Projectile (PEP). Cet article soulève de graves préoccupations éthiques, notamment sur le détournement de la recherche médicale en armement :
Il y a quelque chose de glaçant dans le fait de transformer des recherches destinées à soulager la souffrance en une arme destinée à infliger de la douleur. Les nocicepteurs, ces cellules nerveuses qui transmettent la douleur dans le corps, ont été étudiés pour soulager la douleur chronique. Il apparaît cette semaine qu’un groupe de chercheurs travaillant pour le Pentagone utilise ces connaissances à l’inverse : maximiser la douleur infligée par une arme non létale appelée Pulsed Energy Projectile (PEP). Il n’est donc pas surprenant que les chercheurs en gestion de la douleur aient réagi avec horreur à ce projet.
Ces recherches ont été présentées lors du symposium sur les technologies non létales et la recherche académique (NTAR) de novembre 2004, organisé par l’Université du New Hampshire. Ce forum permet aux chercheurs, financés par la Joint Non-Lethal Weapons Directorate (JNLWD) via le Non-Lethal Technology Innovation Center (NTIC), de présenter leurs résultats.
Un autre exemple de recherche médicale appliquée au développement d’armes a été présenté au NTAR par le Center for Bioelectrics, une initiative conjointe entre le College of Engineering and Technology de l’Old Dominion University (Virginie) et l’Eastern Virginia Medical School, financée par le Air Force Research Laboratory (AFRL).
Sur le site internet du Center for Bioelectrics, cette technologie est décrite comme suit :
La bioélectrique concerne l'utilisation d'impulsions électriques de forte intensité sur des périodes extrêmement courtes, pour manipuler des cellules biologiques, des tissus ou des organismes. Les chercheurs du Center for Bioelectrics testent ces impulsions pour détruire des cellules malades ou non désirées, telles que les tumeurs. L’application de cette technologie à la médecine et à la biologie est une première mondiale. Les avancées biomédicales basées sur ces interactions ultrarapides avec les cellules ont un potentiel extraordinaire pour traiter des maladies comme le cancer, les troubles cardiovasculaires et d'autres pathologies.
Cependant, l'intérêt de l'US Air Force pour cette technologie n'est pas uniquement médical. Une partie des recherches, présentées conjointement au NTAR 2004 par le Center for Bioelectrics et l'AFRL, portait sur :
La perturbation neuromusculaire par impulsions ultracourtes.
L'objectif de cette recherche est de développer une arme non létale capable de provoquer une incapacitation électrique des individus.
Le Stress and Motivated Behaviour Institute (SMBI)
Le Stress and Motivated Behaviour Institute (SMBI) regroupe des chercheurs en neurosciences et en médecine du New Jersey Medical School. Ses recherches portent principalement sur :
- Le syndrome de la guerre du Golfe.
- La santé mentale des femmes.
- Le lien entre stress, mémoire et apprentissage.
Cependant, le SMBI travaille également sur des applications militaires de ses recherches, visant à développer des "moyens de suppression non létaux" pour l’armée et la police.
Le SMBI a été créé en 2002 grâce à un financement de l’US Army, via le Armament Research, Development and Engineering Center (ARDEC) à Picatinny, New Jersey. L’objectif initial était l’étude de la "suppression des cibles".
L’ARDEC se décrit lui-même comme le "Centre de Létalité de l'Armée Américaine", et mène des recherches avancées sur les armements. Actuellement, l’un des projets en cours du SMBI porte sur l’utilisation de fréquences acoustiques infrasoniques pour provoquer une incapacitation. Des tests sur des rongeurs sont déjà en cours.
Le directeur du SMBI précise le rôle de son institut :
Nous servons deux objectifs complémentaires :
- Fournir à l’ARDEC et au DoD une expertise en neurocomportement.
- Organiser des collaborations pour mieux comprendre les maladies mentales et physiques liées au stress.
Cependant, il existe un contraste flagrant entre les objectifs de l’armée, qui cherche à induire du stress pour neutraliser les cibles, et ceux des médecins, qui tentent de soigner les maladies liées au stress. Ces deux approches apparaissent plus contradictoires que complémentaires, soulevant ainsi de sérieux problèmes d’éthique médicale.
Rapport de l’OTAN sur les armes non létales
En décembre 2004, l’Organisation pour la Recherche et la Technologie (RTO) de l’OTAN a publié le premier d’une série de rapports techniques intitulé :
Ce rapport a été préparé par le Studies, Analysis and Simulation Panel (SAS), sur la base d’un exercice multinational réalisé en novembre 2003. Cette étude visait à identifier les types d'armes non létales qui pourraient être utiles dans les opérations de maintien de la paix de l’OTAN entre 2000 et 2020.
Les participants ont élaboré six scénarios, servant de base pour évaluer les capacités les plus nécessaires et les plus efficaces d’ici 2020. (L'annexe contenant l'analyse complète des scénarios est classée "NATO Restricted").
Les capacités jugées indispensables pour les futures opérations de maintien de la paix sont :
- Interdire l'accès à une zone.
- Secourir des individus ou des groupes.
- Empêcher des véhicules terrestres, aériens et maritimes d’entrer dans une zone.
- Neutraliser des véhicules terrestres.
- Protéger les installations et l’équipement.
- Neutraliser des infrastructures et des installations.
- Neutraliser les communications.
Cinq technologies d'armes non létales ont été identifiées comme les plus efficaces pour accomplir ces tâches :
- Dispositifs à radiofréquences (RF).
- Barrières rapides (acoustiques, électromagnétiques, mécaniques).
- Systèmes anti-adhérence (anti-traction).
- Dispositifs incapacitants (stun devices).
- Filets immobilisants (nets).
Ce rapport montre l'intérêt croissant des armées modernes pour le développement et le déploiement d'armes non létales, notamment dans un cadre de guerre asymétrique et d’opérations de maintien de l’ordre. Toutefois, ces nouvelles armes soulèvent des débats éthiques et juridiques majeurs, en raison de leur potentiel de détournement vers des usages coercitifs ou répressifs.